Lettre de Sebastien Le Prestre de Vauban à son Ministre Louvois le 17 juillet 1683
L’actualité de cette lettre, quelques 300 ans plus tard, nous stupéfie.
Monseigneur,
Il y a quelques queues d’ouvrages des années dernières qui ne sont point finies et qui ne finirons point et tout cela, Monseigneur par cette confusion que causent les fréquents rabais qui se font dans vos ouvrages, car il est certain que toutes ces ruptures de marchés, manquements de paroles et renouvellement d’adjudication, ne servent à vous attirer comme entrepreneurs que tous les misérables qui ne savent où donner de la tête, les fripons et les ignorants et à faire fuir tous ceux qui ont de quoi et qui sont capables de conduire une entreprise. Je dis de plus qu’elles retardent et renchérissent considérablement les ouvrages, qui ne sont que plus mauvais car ces rabais et bon marchés tant recherchés sont imaginaires, d’autant qu’il est d’un entrepreneur qui perd comme un homme qui se noie, qui se prend à tout ce qu’on peut; or se prendre à tous ce qu’on peut en matière d’entrepreneur, c’est ne pas payer les marchands chez qui des matériaux, mal payer les ouvriers qu’il emploie, friponner ceux qu’il peut, n’avoir que les plus mauvais parce qu’ils se donnent à meilleur marché que les autres, n’employer que les plus méchants matériaux, chicaner sur toutes choses et toujours crier miséricorde contre celui-ci ou celui-là.
En voilà assez, Monseigneur, pour Vous faire voir l’imperfection de votre conduite, quittez la donc et au nom de Dieu : RETABLISSEZ LA BONNE FOI : donnez le prix des ouvrages et ne refusez pas un honnête salaire à un entrepreneur qui s’acquittera de son devoir, ce sera toujours le meilleur marché que vous puissiez trouver.